Enfin l'heure est venue où les suprêmes flots
Dans l'Océan suprême ont replié leur moire,
Et les livres anciens gardent seuls la mémoire
Des hommes d'autrefois qu'on nommait matelots.
Des centenaires fous, près des flaques dernières,
Disent avoir vu là des apparences d'eau
Où planait un brouillard comme un léger rideau.
Grenouilles coassant au fond sec des ornières,
On écoute râler leurs contes du vieux temps;
Mais aux lieux désignés par leur geste débile
On ne distingue plus qu'une plaine immobile
D'où se sont envolés les nuages flottants.
Sous l'atmosphère dont le vide lourd accable
Plus rien ne bouge au ras du sol, au haut des airs,
Et le soleil tout nu verse sur ces déserts
Ses feux dévastateurs dans l'azur implacable.
Plus d'eau ! Plus de vapeurs ! Un hâle universel !
La plante se flétrit et l'animal se couche.
Le souffle moribond de la dernière bouche
Dans l'espace altéré se cristallise en sel.
La chair même n'a pas le temps de se dissoudre
En grasse pourriture où grouillent les ferments:
Le liquide pompé, tout devient ossements
Que le sel aussitôt encroûte de sa poudre.
Partout il se condense, il enveloppe, il mord,
Il tue, et cependant qu'il tue, il purifie;
Car la mort ne doit plus putréfier la vie,
Car la vie a cessé de naître de la mort.
Et chaque jour il serre une autre bandelette
Autour du globe étreint sous son embrassement,
Pour le conserver pur incorruptiblement,
Suaire immaculé qui couvre un blanc squelette.