ESPACE-TEMPS FRACTAL ET MICROPHYSIQUE

Vers une théorie de la relativité d'échelle

Laurent Nottale

Version française des deux premiers chapitres du livre:

FRACTAL SPACE-TIME AND MICROPHYSICS

Towards a Theory of Scale Relativity

Laurent Nottale

© World Scientific (Singapore, New Jersey, London, 1993)


Chapitre 1

INTRODUCTION GENERALE

La principale question abordée dans cet ouvrage concerne le problème des échelles dans la nature. Ce n'est pas une question récente. Depuis Platon, Euclide ou Aristote, jusqu'à Leibniz, Laplace ou Poincaré, un grand nombre de philosophes, de mathématiciens et de physiciens ont réfléchi au problème des échelles et de leurs transformations (dilatations et contractions). Qu'est-ce qui détermine les échelles universelles dans la nature ? Quelle est l'origine des échelles caractéristiques des particules élémentaires, des échelles d'unification et de brisure de symétrie, des structures à grande échelle de l'Univers ? On n'observe pas seulement l'existence d'échelles fondamentales ou caractéristiques dans la nature, mais aussi celle de lois explicitement dépendantes d'échelle: de tels phénomènes ont conduit aux concepts de "scaling" et d'invariance d'échelle.

Comme on le rappelle Chapitre 2, la dépendance d'échelle peut dans certains cas être de nature extrêmement fondamentale: ainsi, en mécanique quantique, les résultats de mesure dépendent explicitement de la résolution de l'appareil, ainsi que le décrivent les relations de Heisenberg; en cosmologie, ce sont toutes les interdistances entre les objets qui varient au cours du temps en fonction d'un facteur d'échelle universel (expansion de l'univers). De plus, des lois et des comportements d'échelle sont rencontrés dans de nombreuses situations, à petite échelle (en microphysique), aux grandes échelles (astrophysique extragalactique et cosmologie) et aux échelles intermédiaires (systèmes complexes auto-organisés); mais la plupart du temps de telles lois sont découvertes de manière empirique. Il nous manque encore une théorie qui nous permettrait de les déduire de principes fondamentaux.

Notre proposition dans ce livre est qu'un tel principe fondamental sur lequel une théorie des lois d'échelle pourrait se fonder existe: il s'agit du principe de relativité lui-même. Mais ici, `principe de relativité' doit être compris en un sens plus général que son application à telles ou telles lois particulières: il s'agit d'une méthode universelle de pensée. A la suite d'Einstein, on peut l'exprimer par le postulat que les lois de la nature doivent s'appliquer à tous les systèmes de référence, quel que soit leur état. La théorie actuelle de la relativité, à la suite des travaux de Galilée, Poincaré et Einstein, correspond à l'application de ce principe aux systèmes de coordonnées d'espace et de temps, et à leur état de position (origine et orientation des axes) et de mouvement (qui peut être inclus dans la définition de l'orientation des axes, mais dans l'espace-temps).

Notre suggestion est que le principe de relativité s'applique aussi aux lois d'échelle. Ce livre est un compte-rendu de cette proposition et de ses premières conséquences possibles. En nous fondant sur le caractère relatif de tous les intervalles de longueur et de temps dans la nature, nous définissons la résolution des mesures (plus généralement, une éventuelle échelle minimale caractérisant un phénomène donné) comme état d'échelle du système de référence. Ceci nous permet de poser un principe de relativité d'échelle, selon lequel les lois de la nature doivent s'appliquer à tous les systèmes de coordonnées, quel que soit leur état d'échelle. Sa traduction mathématique sera la covariance d'échelle des équations de la physique, c'est à dire leur invariance de forme dans les transformations des résolutions (contractions et dilatations).

Alors que le domaine classique semble apparemment inchangé par une telle analyse, ses lois fondamentales étant indépendantes d'échelle (mais la question doit être reposée dans le cas des phénomènes fortement chaotiques, voir Chapitre 7), il existe par contre deux domaines fondamentalement dépendant d'échelle sur lesquels cette extension du principe de relativité jette une lumière nouvelle: la physique quantique et la cosmologie.

Pour décrire des lois physiques satisfaisant à ce principe, le besoin de nouveaux outils mathématiques se fait aussi sentir. Ils doivent être capable de réaliser une dépendance d'échelle explicite et de nature fondamentale, dans leur définition même. Un concept géométrique vient immédiatement à l'esprit de ce point de vue, celui des fractals, construit par B. Mandelbrot pour désigner des objets, ensembles ou fonctions dont la forme est extrêmement irrégulière et fragmentée à toutes les échelles. D'autre part, des lois décrivant une dépendance d'échelle effective ont déjà été introduites en physique à partir de méthodes algébriques: il s'agit du groupe de renormalisation, en particulier dans l'approche multi-échelles de longueur initiée par K. Wilson. Ces deux outils sont pris en considérations et développés dans ce livre: on y montrera en particulier que les comportements fractals standards (y compris la brisure de symétrie vers l'indépendance d'échelle) sont solutions d'équations différentielles qui sont du type des équations du groupe de renormalisation ( et les généralisent).

Le chapitre 3 est un rappel sur les fractals. Son but principal est de décrire une première tentative de dépassement de la vision des fractals comme objets inclus dans un espace euclidien, pour passer aux fractals définis de manière intrinsèque en tant qu'espace (plus généralement, espace-temps). De nouveaux outils mathématiques sont introduits en vu de leur application en physique, tels l'analyse non standard ou les concepts de fonction fractale et de dérivée fractale, qui nous permettent de travailler avec les infinis et la non-différentiabilité qui caractérisent la géométrie fractale.

Puis, dans le Chapitre 4, le comportement des chemins quantiques est étudié à la lumière de l'outil fractal. Feynman fut le premier à établir que les trajectoires typiques des particules en mécanique quantique pouvaient être décrites comme étant continues, nondifférentiables et de nature fractale. On démontre en effet que les relations de Heisenberg peuvent se traduire en terme de structure fractale des trajectoires potentielles des particules: la dimension fractale des quatre coordonnées spatio-temporelles saute de D = 2 dans les domaines quantiques et quantiques relativistes à D = 1 (cas non fractal) dans le domaine classique, la transition s'identifiant à l'échelle de de Broglie, lm = h / pm.

La structure fractale et nondifférentiable de l'espace-temps quantique est analysée plus en profondeur au Chapitre 5. On y démontre que des relations de Heisenberg généralisées peuvent se déduire d'une telle structure, et qu'une particule totalement ponctuelle qui suit une trajectoire de dimension fractale 2 possède un moment angulaire intrinsèque qui peut s'identifier au spin quantique. La dualité onde-corpuscule trouve son origine dans le fait que les géodésiques se multiplient à l'infini dans un espace-temps fractal. Enfin une nouvelle formulation covariante d'échelle de la mécanique est proposée, qui nous permet d'identifier l'équation de Schrödinger à l'équation fondamentale de la dynamique de Newton écrite dans un espace nondifférentiable.

Au Chapitre 6, le principe de relativité d'échelle est appliqué à l'approche du groupe de renormalisation en microphysique. On rappelle que cette méthode, initialement introduite en physique des hautes énergies comme le groupe des transformations entre les différentes manières de renormaliser les infinis en théorie quantique, fut ensuite reformulée puis appliquée à la physique statistique par K. Wilson, dans le sens nouveau d'un groupe de transformation entre échelles. Les résultats décrits aux chapitres précédents en terme de structures fractales peuvent être réinterprétés en terme d'équations du type "groupe de renormalisation". Ceci nous permet d'établir que, sous sa forme actuelle, le groupe de renormalisation pour le comportement asymptotique en microphysique possède la structure mathématique du groupe de Galilée. Pourtant, on peut démontrer par ailleurs que la solution générale au `problème relativiste restreint' (c'est à dire: trouver les lois de transformation linéaires qui satisfont au principe de relativité) est le groupe de transformation de Lorentz.

Nous proposons alors l'introduction à haute énergie d'un nouveau groupe de renormalisation de structure lorentzienne. Cependant un tel groupe ne saurait rester valable à basse énergie (aux grandes échelles de longueur et de temps): il y a de toute façon transition de la dépendance d'échelle quantique à l'indépendance d'échelle classique au niveau de la longueur et du temps de deBroglie. Cette combinaison d'une symétrie (la relativité d'échelle lorentzienne) et de sa brisure spontanée conduit finalement à de nouvelles lois de dilatation, dans lesquelles apparait une échelle universelle, minimale, indépassable (vers les petites échelles), invariante sous les dilatations et les contractions, qui joue pour les lois d'échelle le même rôle que celui de la vitesse de la lumière pour les lois du mouvement. Il est naturel de l'identifier à l'échelle de Planck (Lp = (hG/c3)1/2 ~ 1.6 10-35 m; Tp = Lp/c = (hG/c5)1/2 ~ 5.4 10-44 s), qui, dans ce nouveau cadre, possède toutes les propriétés qui étaient auparavant attribuées au point zéro. C'est ainsi que les relations de Heisenberg et de Broglie sont généralisées: dans les nouvelles lois, l'énergie-impulsion tend vers l'infini quand l'échelle spatio-temporelle tend vers l'échelle de Planck. Bien que les effets les plus importants soient bien sûr attendus à l'échelle de Planck, à laquelle l'espace-temps devient totalement dégénéré, il est néanmoins remarquable que la nouvelle théorie a des conséquences observables dans le domaine d'énergie actuellement accessible à l'expérience.

Certaines de ces conséquences sont évoquées dans la suite de ce Chapitre. Ainsi les charges et les masses des particules élémentaires (leur "self-énergie"), qui restaient divergentes en Electrodynamique Quantique, redeviennent finies dans cette théorie. Les charges "nues" (à énergie infinie) sont maintement bien définies: certains arguments nous conduisent à la suggestion qu'une charge élémentaire nue de valeur 1 / 2p (en unités sans dimension) peut être introduite. Ceci nous permet de prédire les valeurs observées des constantes de couplage des interactions fondamentales à basse énergie, en utilisant leur variation en fonction de l'échelle déduites des équations du groupe de renormalisation.

De nouvelles échelles universelles émergent de la covariance d'échelle. L'une, en particulier, est en très bon accord avec l'échelle de brisure de symétrie électrofaible; une autre correspond à l'échelle de "Grande Unification".

Les quatre "constantes" de couplage fondamentales, celles de la théorie électrofaible U(1) x SU(2), celle de l'interaction de couleur SU(3) ainsi que le couplage gravitationnel, convergent dans le nouveau cadre vers la même échelle, qui, en masse, n'est rien d'autre que l'échelle de Planck. Nous concluons finalement ce chapitre par quelques propositions concernant l'origine de la masse des bosons d'interaction faible et la nature de la charge électrique.

Dans le Chapitre 7, on tente d'appliquer le principe de relativité d'échelle à la cosmologie. Les conséquences pour le Big Bang standard des nouvelles structures introduites en microphysique sont étudiées dans un premier temps: la théorie résoud en particulier le problème de causalité et d'horizon sans faire appel à une phase d'inflation. Puis on analyse les implications possibles de la relativité d'échelle en cosmologie observationnelle. Comme la microphysique, la cosmologie se caractérise par une dépendance fondamentale des lois physiques en fonction de l'échelle (expansion de l'univers, distribution des structures...). On peut montrer que les problèmes posés par ces deux domaines peuvent s'exprimer de manière symétrique, si bien que des conclusions semblables sont proposées: on introduit également des lois de dilatation lorentziennes à grande échelle, impliquant l'existence d'une échelle L, universelle, indépassable, invariante sous les dilatations. Nous proposons que cette échelle explicite en fait la nature profonde de la constante cosmologique, précisément définie comme l'inverse du carré d'une longueur invariante, L = L-2. Le principe de Mach et la conjecture des grands nombres de Dirac peuvent être reconsidérés dans cette perspective.

Nous concluons ce chapitre en passant à un domaine différent, mais en fait connecté: nous montrons que les méthodes de géométrie nondifférentiable qui ont été développées au Chapitre 5 peuvent aussi s'appliquer, à titre d'approximation et sur de grandes échelles de temps, à des situations impliquant du chaos dynamique. Une application de ces méthodes à l'étude de la structure du système solaire est proposée. Enfin le livre se conclue par une prospective des développements futurs possibles de ce nouveau champ d'investigation.


Chapitre 2

RELATIVITE

ET

PHYSIQUE QUANTIQUE

2.1. Sur l'Etat Actuel de la Physique Fondamentale.

Les lois de la physique sont actuellement décrites principalement dans le cadre de deux théories, la relativité (restreinte1-2 et générale3) qui comprend toute la mécanique classique) et la mécanique quantique4-6 (qui s'est développée sous la forme de théories quantiques des champs). Ces deux constructions sont extrêmement efficaces et précises en ce qui concerne leurs prédictions; les contraintes imposées par la relativité restreinte ont pu être incorporées dans le cadre de la théorie quantique relativiste. Pourtant ces deux théories sont fondées sur des bases totalement différentes, qui peuvent même apparaître comme contradictoires, et utilisent un appareil mathématique différent.

La relativité générale est une théorie fondée sur des principes physiques fondamentaux: covariance générale et principe d'équivalence. Son outil mathématique apparaît comme un moyen naturel de mise en oeuvre de ces principes. Au contraire la mécanique quantique reste une théorie purement axiomatique. Elle se fonde sur des règles mathématiques qui n'ont pas, jusqu'à présent, pu être comprises à partir de mécanismes plus fondamentaux.

Cet état de fait conduit à une dichotomie de la physique: deux "mondes" apparemment opposés cohabitent, le classique et le quantique. La gravitation, en particulier, actuellement décrite de manière si claire et si subtile par la relativité générale d'Einstein,3 a échappé jusqu'à maintenant à toutes les tentatives de description dans l'approche champ quantique-particule. Inversement la compréhension de la nature des champs électromagnétique, faible et fort a fait des progrès énormes dans le cadre des théories quantiques de jauge,7-9 alors que toutes les tentatives d'unification de champs dans le cadre classique (par exemple, de la gravitation et de l'électromagnétisme) ont finalement échoué.

Ces remarques, ainsi que d'autres indices, font penser, à notre avis, que la physique est encore dans l'enfance. Plusieurs grands problèmes, qui comptent parmi les plus fondamentaux, restent complètement ouverts. Il n'existe ainsi aucune théorie qui soit capable de prédire les structures fondamentales observées dans les deux domaines extrêmes du monde physique, ceux de l'élémentarité et de la globalité, c'est à dire aux plus petites et plus grandes échelles d'espace et de temps.

A petite échelle, le modèle standard des particules élémentaires, qui repose sur la chromodynamique (QCD) et la dynamique quantique électrofaible (QEWD), est capable d'inclure dans son cadre les structures observées pour les particules élémentaires (répartition, masses) et les constantes de couplage, c'est à dire les charges. Mais il ne semble pas être capable, jusqu'à preuve du contraire, de prédire théoriquement ces différentes grandeurs. Il est probable que cet échec soit en rapport avec le principal problème non résolu de l'électrodynamique (classique et quantique): celui de la divergence des masses et des charges à très grande énergie.10 La renormalisation11-13 n'est qu'une solution partielle de ce problème. En remplaçant dans les calculs les valeurs théoriques infinies des charges et des masees par les valeurs finies observées, elle a permis aux physiciens de prédire avec une grande précision toutes les autres quantités intéressantes. Mais, du fait de la méthode employée elle-même, le problème des masses et des charges est resté non résolu.

A l'autre extrêmité, celle des très grandes échelles, même si la théorie cosmologique actuelle a rencontré des succès importants, il ne faut pourtant pas oublier que la relativité générale reste une théorie partiellement locale (son outil fondamental, l'élément de métrique, est de nature différentielle) et est peut-être insuffisante pour appréhender la topologie globale de l'univers.14 Ce problème, ainsi que celui des sources de la gravitation (quelle est cette propriété des masses et de l'énergie-impulsion qui fait qu'elles courbent l'espace-temps ?) constitue l'un des domaines frontière où la relativité générale est une théorie incomplète, comme l'a reconnu Einstein lui-même.15 Une autre indication de cette incomplétude pourrait bien être son incapacité à inclure le principe de Mach, à part dans le cadre de certains modèles particuliers d'univers, alors que les observations semblent impliquer qu'il est bien réalisé dans la nature (voir Secs. 5.11 et 7.1).

Le monde "intermédaire", classique, n'est pas non plus dépourvu de problèmes fondamentaux encore ouverts. Ces dernières années ont connu une explosion des recherches dans le domaine du chaos dynamique.16-18 Le chaos peut se définir comme une forte sensibilité aux conditions initiales qui mène à une divergence rapide (exponentielle) de trajectoires initialement proches, puis éventuellement à une perte de prédictibilité sur les grandes échelles de temps. On rencontre du chaos dans des équations qui paraissent parfaitement déterministes, et ceci pour un grand nombre de domaines différents tels que la chimie, la mécanique des fluides et la turbulence, l'économie, la dynamique des populations, la mécanique céleste ou la météorologie... Le défi posé par le chaos est que l'on observe souvent des structures dans des systèmes où le chaos est fortement développé, structures que les méthodes ordianaires semblent incapables de prédire en raison de la présence du chaos lui-même. La compréhension de la manière dont un "ordre" (ou mieux, un type d'organisation) peut émerger du chaos est sans doute la clé d'une éventuelle théorie future de la complexité dans le domaine classique. Ce problème fondamental sera considéré Secs. 3.2, 5.6, 5.7 et 7.2.

On tentera en particulier de convaincre le lecteur que ces différents problèmes, rencontrés dans les domaines quantique, cosmologique et classique, pourraient bien être en fait d'une même nature. Tous impliquent des lois d'échelles, et peuvent être ramenés à la question fondamentale, toujours non résolue: qu'est-ce qui détermine les échelles fondamentales dans la nature ? La physique a besoin d'une théorie des échelles et de leurs transformations. Nous allons ainsi proposer dans le présent ouvrage que le principe de relativité d'Einstein s'applique non seulement aux lois du mouvement, mais aussi aux lois d'échelle, et peut être utilisé comme élément de base pour fonder une telle théorie. Mais nous allons tout d'abord rappeler très brièvement quel est le statut actuel de la théorie de la relativité générale et de la mécanique quantique.

La théorie de la relativité.

La relativité galiléenne, puis les théories restreinte et générale de la relativité d'Einstein peuvent être vues comme des tentatives successives pour rendre possible l'expression des lois de la physique dans des systèmes de coordonnées de plus en plus généraux. Rappelons l'énoncé qu'Einstein a donné du principe de relativité générale: 3 "les lois de la physique doivent être d'une nature telle qu'elles s'appliquent à tous les sytèmes de coordonnées, quel que soit leur état de mouvement". Il nous faut insister dès maintenant sur le fait que, sous cette forme, il s'agit d'un principe de relativité du mouvement.

Ce principe est particulièrement remarquable par sa simplicité alliée à son extraordinaire capacité à définir les contrainte les plus fondamentales gouvernant l'organisation du monde physique. Prenez la formulation de Galilée du principe de relativité: "le mouvement est comme s'il n'était pas". Ceci pourrait apparaître à première vue comme un énoncé trivial. Mais l'expression mathématique de ce principe impose en fait des contraintes fortes et universelles aux formes possibles que peuvent prendre les lois de la physique. Comme le mouvement ne peut pas être détecté par une expérience purement locale, seules certaines lois particulières de transformation entre systèmes inertiels sont admissibles. Cette contrainte mène aux lois classiques de la physique galiléenne et, après l'ajout du postulat de l'invariance d'une certaine vitesse c, à la relativité restreinte d'Einstein-Poincaré-Lorentz. D'ailleurs nous allons démontrer en Sec. 6.4 que ce postulat supplémentaire n'est pas nécessaire pour obtenir la transformation de Lorentz, qui est en fait la transformation la plus générale qui satisfait au principe de relativité restreinte, dès sa forme galiléenne.

Ainsi la relativité restreinte mène à la contrainte qu'aucune vitese ne peut excéder une certaine vitesse universellec, qu'on peut ensuite identifier à la vitesse de n'importe quelle particule de masse nulle dans le vide, en particuler la lumière.19 On rappelle que l'espace-temps minkowskien est caractérisé par l'invariant:

ds2 = c2dt2 - (dx2 + dy2 + dz2) ,

dans n'importe quelle transformation de coordonnées inertielles.

Poursuivons avec l'évolution des idées en relativité. Ce fut l'une des contributions les plus importantes de Mach que d'insister sur la relativité de tous les mouvements, par seulement des mouvements inertiels. En se fondant sur les principes de covariance générale et d'équivalence, Einstein construisit la théorie de la relativité générale, dont les équations peuvent être vues comme des contraintes sur les courbures de l'espace-temps qui sont physiquement possibles. Les équations d'Einstein

Rmn - (1/2) R gmn - L gmn = c Tmn (2.1)

sont les plus générales des équations les plus simples qui soient covariantes sous toutes les transformations de système de coordonnées continues et (au moins deux fois) différentiables.

Les lecteurs qui souhaiteraient un exposé complet de cette théorie sont invités à consulter des livres tels ceux de Misner, Thorne et Wheeler22 ou Weinberg.55 Rappelons simplement ici brièvement que, dans ces équations, les gmn sont des potentiels de métrique tensoriels qui généralisent le potentiel gravitationnel newtonien scalaire. L'invariant de la relativité générale s'écrit, avec la convention d'Einstein de sommation des indices identiques présents en haut et en bas

ds2 = gmn dxm dxn , (m,n = 0 à 3).

En relativité générale, l'existence de la courbure de l'espace-temps implique que les variations des quantités physiques telles que les vecteurs ou les tenseurs dans des transformations infinitésimales de coordonnées dépendent de l'espace-temps lui-même. Ce fait s'exprime par la dérivation covariante

DmAn = mAn + Gnrm Ar

qui généralise la dérivation partielle usuelle. Dans cette expression, les effets de l'espace-temps (c'est-à-dire de la gravitation) sont décrits par les symboles de Christoffel

Grmn = (1/2) grl ( n glm + m gln - l gmn ) ,

qui jouent le rôle du champ gravitationnel. Les dérivées covariantes ne commutent pas, si bien que leur commutateur conduit à l'apparition d'un tenseur à quatre indices, le tenseur de Riemann Rlmnr :

(Dm Dn - Dn Dm ) Ar = Rlrnm Al .

La contraction du tenseur de Riemann donne le tenseur de Ricci Rmn = glrRlmrn:

Rmn = rGrmn - nGrmr + Grmn Glrl - Grml Glnr ,

tandis que la quantité R = gmn Rmn est la courbure scalaire. Les équations d'Einstein énoncent que le tenseur énergie-impulsion Tmn est égal, à la constante c = 8pG/c4 près, au tenseur géométrique d'Einstein donné par le premier membre de l'équation (2.1), dans laquelle L est la constante cosmologique. Le tenseur d'Einstein et le tenseur énergie-impulsion se conservent au sens covariant. Le principe d'Einstein de l'équivalence de la gravitation et de l'inertie s'exprime par le fait qu'on peut toujours trouver un système de coordonnées dans lequel la métrique est localement minkowskienne, et que dans un tel système les équations du mouvement d'une particule libre sont celles du mouvement inertiel, Dum = 0, où um est la quadri-vitesse de la particule. Ecrite dans un système de coordonnées quelconque, cette équation devient l'équation des géodésiques

(d2xm/ds2) + Gmnr (dxn/ds) (dxr/ds) = 0 .

Revenons maintenant à l'analyse du sens de la relativité. On peut remarquer que le principe de relativité, dans la formulation d'Einstein, s'applique aux lois de la nature, qu'Einstein distingue soigneusement des équations de la physique. Les "lois de la nature" sont supposées exister indépendamment du physicien (leur existence constitue l'un des postulats sous-jacent à toute "philosophie naturelle"), tandis que les équations de la physique sont l'expression mathématique de nos tentative pour les atteindre. La traduction mathématique du principe de relativité est la covariance générale:3 "les lois générales de la nature doivent s'exprimer par des équations valables dans tous les systèmes de coordonnées, c'esdt à dire qui restent covariantes dans toutes leurs transformations ".

Il est également remarquable que l'évolution du principe de relativité a toujours été intrinsèquement reliée à l'évolution du concept d'espace-(temps). Toute interrogation à propos des lois de transformation des systèmes de référence conduit à s'interroger sur l'espace-temps. Inversement, se poser des questions sur l'espace-temps mène à questionner la relativité. En relativité galiléenne, l'espace et le temps sont des concepts absolus et indépendants. La théorie restreinte1-2 renonce à un tel point de vue et introduit le concept d'espace-temps.20 Mais l'espace-temps minkowskien reste absolu, alors que l'analyse de Mach, puis Einstein,3 démontre clairement que l'exigence de covariance générale est incompatible avec l'idée d'un espace ou d'un espace-temps privilégié. Ceci mène à l'espace-temps de la théorie générale qui dépend du contenu matériel te énergétique de l'univers.

La manière par laquelle les propriétés de l'espace-temps sont reliées aux propriétés de la matière (et de l'énergie) est également instructive. Seules les propriétés universelles de la matière peuvent être attribuées à l'espace-temps. C'est précisément l'universalité de la transformation de Lorentz, dont Einstein et Poincaré ont pu montrer qu'elle s'applique non seulement aux ondes électromagnétiques, mais aussi à n'importe quel système ou particule massive, qui permet l'introduction de l'espace-temps minkowskien. En relativité générale, la propriété universelle de la matière repérée particulièrement par Einstein est la courbure des trajectoires des particules dans un champ de gravitation. On comprend ainsi le rôle crucial joué par la déviation des rayons lumineux (et plus généralement par tous les effets de la gravitation sur la lumière) dans la construction de la théorie21 et dans son acceptation finale. L'universalité de la nature courbe des trajectoires des particules, massives ou pas, conduit à attribuer la propriété de courbure à l'espace-temps lui-même: pour finalement la retirer aux particules, qui suivront alors les "droites" de l'espace-temps courbe, les géodésiques, en accord avec le principe d'équivalence.

La puissance de cette approche s'apprécie pleinement quand on réalise que, si l'on accepte totalement l'interprétation géométrique d'Einstein, les concepts de force, de potentiel, et même de champ disparaissent au profit de celui d'espace-temps. D'après le principe d'équivalence, on retrouve un comportement inertiel dans un système de coordonnées en chute libre, c'est à dire qui suit une géodésique de l'espace-temps riemannien. L'espace-temps, tel qu'il est décrit par les potentiels de métrique, peut être considéré comme un nouvel outil mathématique, plus profond encore que celui de champ (un champ peut exister ou pas, alors que l'espace-temps, qui lui sert de cadre, ne peut être supprimé). A partir de lui, les notions de force ou de potentiel peuvent être retrouvés, mais comme approximations. Ce point de vue mène finalement à l'interprétation radicale d'Einstein de la nature de la gravitation, identifiée aux manifestations de la courbure de l'espace-temps, considérée comme une propriété universelle du monde.22

Physique quantique.

Jusqu'à présent, la mécanique quantique est fondée sur une approche totalement différente de celle de la relativité. Il s'agit d'une théorie de nature essentiellement axiomatique. Nous allons rappeler brièvement (et commenter) ces axiomes dans le cas de la théorie non relativiste (voir par exemple les Refs. 23-25):

(i) Un système physique est défini par une fonction d'état f. Sa représentation en coordonnées, la fonction d'onde complexe y (q,s,t), est souvent utilisée dans la théorie non relativiste. Elle dépend de tous les degrés de liberté classiques, q et t, et de degrés de libertés purement quantiques s, tels que le spin. La probabilité qu'a le système de prendre les valeurs (q, s) au temps t est donnée par P = |(y (q,s,t) |2, si bien que y peut être écrite sous la forme y = P1/2 eiq. A la suite de Feynman, on utilise également souvent, à la place de la fonction d'onde, l'amplitude de probabilité y(a,b) entre deux événements spatio-temporels a et b. Ce qui rend la mécanique quantique extraordinaire et irréductible au classique est que la fonction d'onde complexe totale, incluant son module P1/2 et sa phase q, est nécessaire pour faire des prédictions correctes, alors que seul le carré du module P est observé directement. Quand un événement peut se produire de deux manières différentes, l'amplitude de probabilité est la somme des amplitudes de chaque chemin considéré séparément:

y = y1 + y2 => P = P1 + P2 + y1 y2 + y2 y1

Les deux termes non diagonaux qui s'ajoutent aux termes de probabilité classique P1 + P2 sont à l'origine des interférences et plus généralement de la cohérence quantique. Inversement, quand on sait si l'une ou l'autre des voies alternatives est suivie, la composition des probabilités prend la forme classique P = P1 + P2 .

(ii) Si y1 et y2 sont des états possibles d'un système, alors y = y1 + y2 est aussi un état du système.

(iii) Les observables physiques sont représentées par des opérateurs hermitiens linéaires, W, agissant sur la fonction d'état. Par exemple l'opérateur complexe - ih / qi correspond à l'impulsion pi . Qu'à une impulsion réelle corresponde un opérateur complex agissant sur une amplitude de probabilité complexe est une autre manifestation du caractère mystérieux de la mécanique quantique.

(iv) Les résultats de mesure des observables physiques sont donnés par l'une quelconque des valeurs propres de l'opérateur qui lui est associé, W y = wi y.

(v) Toute fonction d'état peut être développée dans une base orthonormale comme y = Sn anyny , et |an|2 donne la probabilité pour que le système soit dans le nième état propre.

(vi) L'évolution temporelle du système satisfait à l'équation de Schrödinger

H y = i h (y / t) ,

dans laquelle l'hamiltonien H est un opérateur linéaire hermitien.

(vii) Immediatement après une mesure, le système est dans l'état donné par cette mesure. Ce septième axiome (appelé parfois axiome de Von Neumann) est parfois oublié dans certains ouvrages de cours bien qu'il soit absoluement nécéssaire pour obtenir un accord avec les faits expérimentaux: ainsi après une mesure de spin (par exemple, après avoir fait passer de la lumière par un polaroïd), le système demeure, en l'absence d'une autre mesure, dans l'état donné par la première mesure; juste après une mesure de position (c'est-à-dire à l'instant t + dt, dt -> 0), une particule se trouve à la position donnée par la mesure. Oublier cet axiome peut mener à une interprétation trompeuse de la mécanique quantique, menant à l'impression fausse que des prédictions précises ne peuvent jamais être effectuées dans son cadre: ceci dépend bien sûr de l'état du système considéré, en particulier son caractère pur ou mixte, et du type de variable mesurée. Le phénomène (et le problème) de "réduction du paquet d'onde" est également directement lié à ce dernier axiome.26

Ces axiomes ont des conséquences philosophiques bien connues (ou plutôt, on peut les considérer comme une traduction mathématique cohérente de ce que nous disent les expériences à propos du monde microphysique: dans ce cas les conséquences philosophiques trouvent leur origine dans nos observations). Deux réalisations de la fonction d'état, les représentations en coordonnées et en impulsions sont particulièrement importantes. Les fonctions d'onde en position et en impulsion peuvent se déduire l'une de l'autre par transformée de Fourier réciproque. Les inégalités de Heisenberg

sx sp >= h / 2 ,

se démontrent à partir de cette propriété fondamentale. Elles impliquent le caractère non déterministe des trajectoires quantiques.

La solution de l'équation de Schrödinger de la particule libre permet de retrouver la longueur et le temps de de Broglie: la phase de la fonction d'onde s'écrit dans ce cas q = (p x - E t)/h, où p et E sont l'impulsion et l'énergie moyenne (classique) de la particule. Les périodes de de Broglie, h/p et h/E, correspondent à une variation de phase de 2p. Tout au long de ce livre, pour éviter toute confusion, nous appellerons "longueur et temps de deBroglie" les grandeurs

l = h / p ; t = h/ E,

telles que la phase quantique d'une particule libre s'écrit q = (x /l- t/t). (Rappellons que, historiquement, l'équation de Schrödinger fut construite par lui en s'inspirant de l'onde de de Broglie, obtenue précedemment). L'échelle de de Broglie peut se généraliser à des systèmes plus compliqués: elle peut s'identifier à l'échelle caractéristique de transition qui apparait dans la phase pour toute solution de l'équation de Schrödinger.

Il semble clair à la lecture des axiomes qui précèdent que l'essence du caractère mystérieux de la mécanique quantique peut se ramener à la question : où se trouve le plan complexe de la mécanique quantique ? Nous allons dans le présent livre proposer une solution à ce puzzle en montrant qu'un plan complexe émerge naturellement dans l'espace-temps (ou plutôt dans l'espace des vitesses) à partir du moment où l'on abandonne l'hypothèse (arbitraire) de différentiabilité de l'espace-temps. Cette approche permet d'obtenir l'équation de Schrödinger comme n'étant rien d'autre que l'équation fondamentale de la dynamique, mais écrite dans un tel cadre non-différentiable (voir Chapitre 5).

La mécanique quantique est une théorie axiomatique, au contraire de la relativité, fondée sur des principes fondamentaux. L'origine physique de ces axiomes reste jusqu'à maintenant incomprise: on sait seulement qu'ils "marchent", c'est à dire que la théorie qu'on développe à partir d'eux possède un haut pouvoir prédictif et est remarquablement précise. Le êtres mathématiques de la théorie quantique actuelle sont essentiellement décrits dans un espace d'état abstrait, si bien que le rôle joué par l'espace-temps y est apparemment mineur. Aussi la mécanique quantique décrit-elle plutôt des propriétés intrinsèques d'objets microphysiques considérés comme plongés dans un espace-temps supposé a priori euclidien ou minkowskien (c'est à dire absolu et indépendant de son contenu). Il y a bien eu des propositions comme quoi la structure de l'espace-temps microphysique pourrait être semblable à de l'écume ou telle que du gruyère27-29, mais de telles suppositions étaiient censées ne s'appliquer qu'au niveau des échelles de temps et de longueur de Planck. Ces idées se sont développées maintenant dans des tentatives de construction d'une théorie de la gravitation quantique (voir par exemple la Réf. 30 et les références citées dans celle-ci), dont le domaine privilégié d'application serait l'univers très primordial. Comme nous allons le voir dans la suite, notre proposition est au contraire que l'espace-temps acquière une structure nouvelle à des échelles beaucoup plus grandes, et que les propriétés quantiques elles-mêmes en sont une conséquence.

Géométrie et microphysique

En dépit des avantages que l'on peut trouver à une théorie de l'espace-temps (c'est à dire ou l'espace-temps joue un rôle dynamique comme en relativité générale), les nombreuses tentatives infructueuses d'unification de la gravitation et de l'électromagnétisme dans le cadre d'une approche géométrique (basée sur la courbure et/ou la torsion, voir Réf. 31) convainquit finalement les physiciens qu'une telle approche devait être abandonnée. Parallèlement, le succès des théories quantique de jauge conduisit à l'espoir que l'unification devait plutôt être recherchée dans l'approche "particule-champs quantifiés", et que la gravitation elle-même devait finalement être quantifiée.

Cependant, parmi les diverses raisons de l'échec des tentatives géométriques d'unifications, deux peuvent être singularisées à la lumière des remarques qui précèdent:

(i) les propriétés observées du monde quantique ne peuvent pas être reproduites par la géométrie riemannienne;

(ii) l'approche spatio-temporelle ne peut pas être fondée sur des champs particuliers, mais sur les propriétés de la matière et du rayonnement qui ont un caractère d'universalité. Il semble donc clair qu'une éventuelle vision plus profonde de la nature de l'espace-temps en microphysique ne pourrait être obtenue qu'au prix de l'introduction de nouveaux concepts.

Le but de ce livre est précisément de passer en revue les principes et les premiers résultats obtenus dans le cadre d'une tentative nouvelle viqant à reconsidérer la conclusion qu'une approche géométrique des propriétés quantiques de la microphysique est impossible. Nous y suggérons des voies nouvelles vers la construction d'une théorie spatio-temporelle de la microphysique, fondée sur le concept d'espace-temps fractal et sur la suggestion d'une extension du principe de relativité. Le principal ingrédient nouveau de cette approche par rapport à la physique actuelle (aussi bien classique que quantique) est que nous abandonnons l'hypothèse, non justifiée, que l'espace-temps est différentiable. On peut en fait démontrer (Sec. 3.10) que la continuité associée à la non-différentiabilité implique une dépendance explicite de l'espace-temps en fonction de l'échelle (c'est à dire, par définition ici, son caractère fractal).

Dans cette quête, notre principal fil d'Ariane sera le principe de relativité d'Einstein. Mais nous prenons ici la "relativité" au sens d'une méthode générale de pensée, qui va au delà de sa limitation (actuelle) à une théorie particulière: dans l'approche relativiste de la physique, on tente d'analyser ce qui, dans les phénomènes observés et l'expression des lois physiques, dépend des caractéristiques particulières du système de référence, et ce qui n'en dépend pas (recherche des invariants). Nous montrerons ainsi que le principe de relativité s'applique non seulement aux lois du mouvement, mais aussi aux lois d'échelle, une fois réinterprété le concept de résolution.

2.2. Necessité d'une Nouvelle Extension du Principe de Relativité.

Préalable à l'établissement du principe de relativité, se trouve la défénition des systèmes de coordonnées et des diverses transformations possibles entre ces systèmes. En effet ce principe est un énoncé portant sur l'universalité des lois de la physique, quel que soit le système de référence dans lequel on les exprime. Tentons ainsi d'analyser plus à fond ce que l'on entend par "système de coordonnées". La physique est, avant toute chose, une science fondée sur des mesures. Ses lois ne s'appliquent pas aux objets "en soi", mais aux résultats numériques des mesures qui ont été effectuées sur ces objets. Aussi la définition des systèmes de coordonnées doit inclure toutes les informations essentielles qui sont nécessaires pour décrire ces résultats et pour les relier sous forme de lois physiques.

L'expérience nous enseigne que quatre nombres sont nécessaires et suffisants pour localiser un événement (c'est à dire la combinaison d'une position et d'un instant): l'espace-temps est de dimension topologique 4. L'opération consistant à localiser un événement a les propriétés suivantes.

(i) Cette localisation ne peut pas se faire d'une manière absolue. Un événement ne peut être repéré que par rapport à un autre événement, jamais en référence à quelque position ou instant absolu. On ne mesure que des intervalles d'espace et de temps. Cette relativité des positions et des instants implique que les systèmes de coordonnées doivent en premier lieu être caractérisé par la définition d'une origine, O, elle-même toujours relative.

(ii) Il faut ensuite définir les axes du système de coordonnées. De telles axes peuvent être pris rectilignes, où plus généralement curvilignes. On peut voir de telle coordonnées curvilignes comme couvrant l'espace-temps par une grille ou un réseau continu de lignes (de dimension topologique 1). Dans la physique actuelle, on suppose aussi qu'un tel réseau de courbes est différentiable. L'orientation des axes, comme l'origine des systèmes de coordonnées, ne peut être définie que de manière relative: seul un angle entre deux axes a un sens, jamais une orientation absolue ne peut être définie.

(iii) La position et l'instant d'un événement doivent maintenant être caractérisés numériquement (mesurés) par rapport à l'origine O. Cette position et cet instant vont donc être mesurés par la longueur et le temps passé des intervalles de longeur et de temps qui séparent O et ce nouvel événement. Mais les intervalles de longueur et de temps sont eux aussi des quantitiés relatives: il n'existe aucune échelle absolue dans la nature (même s'il existe des échelle universelles). Cette deuxième relativité, qu'on peut appeler "relativité d'échelle", se traduit couramment par la nécessité d'utiliser des unités pour mesurer des longueurs et des temps. Mais nous montrerons dans la suite que ses conséquences sur des lois de la physique pourraient être beaucoup plus profondes.

(iv) Une dernière propriété essentielle des mesures de coordonnées spatio-temporelles (et de n'importe quelles mesures) est qu'elles sont toujours faites à une certaine résolution finie. Nous proposons que la résolution doit être incluse dans la définition même des systèmes de coordonnées.32,33 De plus, étant elle-même un intervalle de longueur ou de temps, elle est soumise à la relativité des échelles. En fait la résolution correspond d'une certaine manière à l'unité minimale qui peut être utilisée pour donner numériquement le résultat d'une mesure (par exemple, si la résolution d'une règle est de 1 mm, il est bien évident qu'exprimer le résultat d'une mesure faite avec une telle règle en angströms n'aurait aucun sens). En unités de résolution, tous les résultats de mesure deviennent des entiers, n = x/dx..

Dans certains cas la résolution correspond à la précision de l'appareil de mesure: ainsi dans le domaine de la physique classique, une mesure faite avec une meilleure résolution donnera le même résultat avec une meilleure précision. Dans d'autres cas elle correspond à l'existence d'une limitation physique intrinsèque. Par exemple il est probable que la définition de la distance entre la Terre et le Soleil à une résolution de 1 Å n'aura jamais aucun sens physique. Enfin, dans le cas de la physique quantique qui est notre préoccupation principale dans le présent ouvrage, la résolution de l'appareil de mesure se met à jouer un rôle complètement nouveau par rapport au cas classique: les résultats de mesure en dépendent d'une manière essentielle, comme le décrivent les relations de Heisenberg.

Il n'est pas inutile d'insister plus encore sur l'importance de la résolution en physique. Il est bien connu qu'un ensemble quelconque de données ne prend sens que s'il est accompagné des "erreurs de mesure" ou des "incertitudes", et plus généralement par les résolutions caractérisant le système considéré. Une information complète sur des mesures de position et d'instant n'est obtenue que si l'on se donne non seulement les coordonnées spatio-temporelles (txyz), mais ausii les résolutions (Dt, Dx, Dy, Dz). Bien qu'une telle analyse joue déjà un rôle primordial dans la théorie de la mesure et l'interprétation de la mécanique quantique, il nous faut pourtant remarquer que ses conséquences concernant la nature aux échelles quantiques de l'espace-temps lui-même n'ont pas encore été tirées. Ce manque pourrait venir, à notre avis, du fait que les résolutions n'apparaissent de manière explicite ni dans la définition des systèmes de coordonnées, ni dans les équations fondamentales de la physique, alors qu'elles deviennent des variables essentielles en théorie quantique, sachant qu'elles transportent une partie de l'information nécessaire à la compréhension de la signification physique des résultats de mesure.

Revenons aux propriétés générales de relativité des systèmes de coordonnées. Une fois définis ces systèmes, la tâche suivante consiste à décrire les diverses transformations possibles entre ces systèmes. Ces transformations vont changer les grandeurs caractérisant leur état, c'est-à-dire, d'après l'analyse qui précède, l'origine, l'orientation des axes, les unités et les résolutions.

Considérons tout d'abord les changements d'origine. L'invariance des lois de la physique sous les translations de l'origine des coordonnées se traduit par l'homogénéité de l'espace et l'uniformité du temps, plus généralement par l'homogénéité de l'espace-temps. Cette symétrie n'est en général pas incluse dans le cadre de la relativité, mais forme néanmoins un des fondements principaux de la physique. On sait que, via le théorème de Noether, elle sous-tend la conservation de l'impulsion et de l'énergie. Ainsi l'existence même des quantités conservatives fondamentales que sont l'énergie et l'impulsion (quantités qui deviennent la "charge" pour la gravitation en relativité générale), repose sur cette relativité première des positions et des instants.

Si l'on considère maintenant les changements d'origine spatiale dépendant du temps, on est amené à la relativité du mouvement. L'énoncé de l'applicabilité des lois de la physique dans deux systèmes s'écartant l'un de l'autre avec une vitesse relative rectiligne uniforme conduit à la relativité du mouvement inertiel de Galilée. Mais elle est mieux encore prise en compte en considérant les rotations "statiques" des axes dans l'espace-temps, que nous allons maintenant envisager.

Les transformations des axes incluent en premier lieu les changements d'orientation. L'invariance des lois de la physique sous les rotations dans l'espace correspond à la symétrie d'isotropie de l'espace et implique la conservation du moment angulaire. Si l'on inclue maintenant les rotations dans l'espace-temps parmi les transformations considérées, la relativité du mouvement devient une relativité de l'orientation des axes dans l'espace-temps. Les transformations correspondantes forment le groupe de Lorentz. Finalement la relativité restreinte d'Einstein inclue dans son ensemble la relativité des positions, des instants et de l'orientation des axes en terme du groupe d'invariance de Poincaré.

La prise en considération de transformations de coordonnées continues et différentiables quelconques conduit à la théorie de la relativité générale d'Einstein. Passer à des systèmes de coordonnées curvilignes introduit non seulement des mouvements non inertiels, mais aussi la courbure de l'espace-temps qui se manifeste à nous par le phénomène de gravitation.

Pour poursuivre dans cette voie, il est clair que si l'on voulait généraliser encore la classe des transformations acceptables entre systèmes de coordonnées, il faudrait abandonner la différentiabilité, puis éventuellement, comme dernière possibilité, la continuité (on rappelle que la non-différentiabilité n'implique pas la non-continuité). Appelons "covariance étendue" la covariance des équations de la physique sous les transformations de coordonnées continues les plus générale, y compris celles qui sont non-différentiables. Il semble également clair que la mise en oeuvre d'une telle covariance étendue devrait impliquer un changement profond de l'outil physico-mathematique, sachant que l'ensemble de la physique mathématique est actuellement fondée sur l'intégro-différentiation. Dans ce livre, nous allons précisément tenter de convaincre le lecteur que ce changement est bien nécessaire à une compréhension profonde des lois de la nature, en particulier dans le domaine microphysique.

Dans son état actuel, la théorie physique fondamentale est, en effet, encore affectée de ce qu'on peut considérer comme de graves défauts, qui nous indiquent que le principe de relativité a effectivement besoin d'être généralisé une nouvelle fois. Bien qu'il soit devenu définitivement clair à la suite de l'analyse de Mach, puis d'Einstein, que le concept d'espace-temps absolu devait être abandonné et remplacé par celui d'espace-temps dépendant de son contenu matériel et énergétique, la théorie quantique actuelle est définie dans le cadre d'un espace-temps minkowskien, donc absolu. Un tel choix est en contradiction flagrante avec le fait que les propriétés quantiques de la matière et de l'énergie se caractérisent par leur irréductibilité à leurs propriétés classiques, sur lesquelles se fondent pourtant les relativités restreinte et générale, dans lesquels l'espace-temps est respectivement globalement, puis localement minkowskien. Dit autrement, la nature minkowskienne ou riemannienne de l'espace-temps se déduit de l'approche et des propriétés classiques, alors que nous savons par ailleurs que, dans le domaine microphysique, tous les objets ont des propriétés nouvelles quantiques (en particulier, ils sont tous soumis aux relations de de Broglie et de Heisenberg). On s'attend pourtant à ce que la structure de l'espace-temps dépende de son contenu matériel et énergétique: comment, dans ces conditions, un espace-temps dont le contenu est universellement quantique pourrait-il être minkowskien, c'est à dire plat et absolu?

Une remarque supplémentaire peut être faite. Le but d'une relativité totalement générale ne peut être considéré comme atteint, sachant que les méthodes de la théorie actuelle de la relativité générale ne s'appliquent pas à des systèmes de coordonnées entrainés (au moins virtuellement) dans le mouvement quantique, qui est continu mais non-différentiable, comme l'a découvert Feynman.34,35 Cette non-différentiabilité des chemins quantiques potentiels est un des points-clé de notre approche. Nous y reviendrons en détail, et montrerons qu'elle peut être décrite en terme de propriétés fractales similaires à celle servant à décrire le mouvement Brownien (processus de Wiener).36,33

En nous fondant sur ces considérations, nous avons fait la suggestion que le principe de relativité devait encore être étendu.32,33 Jusqu'à maintenant, la conception que se fait le physicien de l'espace-temps a évolué depuis l'espace et le temps indépendants de Galilée, vers l'espace-temps riemannien, toujours absolu, puis vers l'espace-temps relatif, riemannien de la théorie d'Einstein. Si l'on veut maintenant inclure le mouvement quantique, fractal et non-différentiable, parmi ceux que décrit une théorie de la relativité, une structure géométrique de l'espace-temps radicalement nouvelle doit être introduite. Notre suggestion est que l'espace-temps quantique est continu, mais relatif et fractal,33 c'est à dire divergent à petite échelle (ce qui est la définition même du mot "fractal" que nous adopterons ici: voir Mandelbrot37,38 pour d'autres définitions). On peut en effet démontrer (voir Sec. 3.10) que la combinaison de la continuité et de la non-differentiabilité (partout) implique la divergence d'échelle. Nous arriverons à une conclusion identique concernant la structure de l'espace-temps microphysique dans les chapitres ultérieurs, mais en nous fondant sur la relativité de toutes les échelles dans la nature.

Insistons une nouvelle fois sur le fait que dans l'approche décrite dans le présent essai, nous gardons l'hypothèse du continuum espace-temps, tout en abandonnant celle de sa différentiabilité. Un choix ultime pour la physique pourrait être d'abandonner aussi l'hypothèse de continuité. Quelques tentatives d'introductions d'espaces-temps discontinus ont été effectivement proposées.39,27-29 On peut citer à ce propos les "relateurs arithmétiques" de Moulin,40 qui sont définis en n'utilisant que des nombres entiers purs. Les relateurs arithmétiques sont des automates cellulaires quadratiques qui incluent des variables internes et des variables d'environnement. Il se sont révélés remarquablement efficace pour produire des structures, certaines en particulier semblant profondément apparentées à des structures biologiques.41 Une telle capacité de faire émerger des structures à partir d'un faible nombre de contraintes rappelle des résultats obtenus avec des "mappings", tels qu'on les utilise dans l'étude du chaos dynamique. Les relateurs arithmétiques fournissent en particulier une hiérarchisation naturelle, c'est à dire que différentes structures apparaiseent à différents niveaux d'imbrication. Comparé à de telles approches, le point de vue adopté ici sera plus conservateur: nous garderons l'hypothèse de continuité, et traiterons la non-différentiabilité en maintenant malgré tout un formalisme intégro-différentiel, grâce à l'introduction explicite des résolutions dans les équations fondamentales de la physique.

2.3. Relativité des Echelles.

Nous avons considéré, dans le chapitre précédent, les transformations du système de coordonnées qui correspondent aux changement d'origine et d'orientation des axes. La variable d'état suivante qu'on pourrait soumettre à une transformation est celle des unités. Quelques tentatives ont été faites pour inclure une telle transformation dans les lois physiques, en particulier dans le cadre du groupe conforme.42,43 Les transformations conformes comprennent, en plus de celles de Poincaré, les dilatations et les transformations spéciales conformes, qui peuvent effectivement être interprétées en terme de changement d'unité. Cependant, alors que les ondes électromagnétiques et plus généralement tout champ de masse nulle sont invariant conforme, ce n'est pas le cas de la matière, si bien que la symétrie conforme ne peut pas être une symétrie exacte. De plus le choix de l'unité est dans la plupart des cas un choix purement arbitraire, qui ne décrivent pas les conditions de la mesure, mais seulement leur transcription en terme de résultat numérique.

Analysons néanmoins plus à fond la signification et le rôle physique des unités. La nécessité où nous sommes de les utiliser pour mesurer des intervalles de longueur et de temps est directement liée à la relativité de toutes les échelles dans la nature. Quand on affirme que l'on mesure une longueur, ce que l'on fait effectivement est de déterminer le rapport des longueurs de deux corps (dont l'un est pris comme unité). De même que la vitesse absolue d'un corps n'a pas de sens physique, mais seulement la vitesse d'un corps par rapport à un autre, comme le découvrit Galilée, la longueur d'un corps ou la période d'une horloge n'a pas de sens physique en soi, mais seulement le rapport des longueurs de deux corps ou le rapport des périodes de deux horloges.

Quand on dit qu'un corps a une longueur de 132 cm, ce que l'on entend par là est qu'un second corps auquel on attribue arbitrairement une longueur de 1 cm, et que l'on appelle (c'est à dire définit comme) unité, doit être dilaté 132 fois pour obtenir la longueur du premier corps. Les mesures directes d'intervalles de longueur et de temps se ramènent toujours, en dernier recours, à des rapports de dilatations. La tendance des physiciens à définir un système unique d'unités était certainement une bonne chose, ayant permis une comparaison rationelle des résultats de mesures entre laboratoires et pays différents. Cependant le fait de ramener toutes les longueurs à un unique corps (ou maintenant une unique période) de référence a donné une fausse imprssion d'absolu: cette méthode a masqué la caractéristique essentielle de la relation entre longueurs, qui est d'être une relation deux à deux.

Le fait qui a permis cette utilisation d'une unité unique est la simplicité de la loi de composition des dilatations, r"=r r'. Il n'y a aucun doute que cette loi soit extêmemnt bien vérifiée dans le domaine classique: un corps de longueur 21 m mesure aussi 2100 cm avec certitude. Cependant on peut remarquer que la connaissance que l'on a des lois de dilatation dans les deux domaines de la physique quantique et de la cosmologie n'est qu'indirecte, des mesures directes d'intervalles de distance et de temps y devenant impossibles. Dans ces deux domaines, les valeurs attribuées à des intervalles de longueurs et les temps sont déduites des observations d'autres variables (énergie-impulsion à petite échelle, luminosité et diamètres apparents à grande échelle) et d'une théorie sous-jacente (respectivement la mécanique quantique et la relativité générale), qui ont pourtant été construites sous l'hypothèse implicite que les lois de dilatation habituelles étaient correctes. (Une telle situation peut se comparer au statut des lois de mouvement avant l'avénement de la relativité restreinte: il semblait également évident que la loi de composition des vitesses ne pouvait être que w = u + v). Ce problème sera abordé au Chapitre 6 (et en Section 7.1 en ce qui concerne la cosmologie): nous y ferons des propositions nouvelles fondées sur le principe de relativité d'échelle, concernant la nature lois d'échelle dans les deux domaines asymptotiques des très grandes et des très petites échelles.

Considérons maintenant le statut physique des résolutions. Ce statut est relié, à un certain niveau qui sera précisé ci-après, à celui des unités: en particulier, étant elles-mêmes des intervalles de longueurs et de temps, les résolutions sont également soumises à la relativité des échelles. Mais elles jouent en fait en physique un rôle différent et beaucoup plus important. En effet un changement de résolution correspond à un changement explicite des conditions expérimentales. Mesurer une longueur avec une résolution de 1/10è mm implique l'utilisation d'une loupe; à 10 mm, il faut un microscope; à 0.1 mm, un microscope électronique; à 1 Å, un microscope à effet tunnel ou à effet de champ. A des échelles plus petites encore, les mesures de longueur deviennent indirectes, sachant qu'on atteint, puis dépasse (vers l'infiniment petit) les tailles des atomes. Quand on entre dans le domaine quantique, c'est à dire pour les résolutions inférieures aux longueurs et au temps de de Broglie d'un système (ceci sera précisé dans la suite), le statut physique des résolutions change radicalement. Tandis que, dans le domaine classique, on peut identifier résolution et précision de la mesure (deux mesures faites à des résolutions différentes donnent le même résultat, mais plus ou moins précis), la résolution se met à jouer un rôle totalement nouveau en microphysique. Les résultats de mesure y dépendent explicitement de la résolution de l'appareil, comme décrit par les relations de Heisenberg. C'est la raison pour laquelle on peut penser que l'introduction des résolutions spatio-temporelles dans la description même des systèmes de coordonnées (en tant qu'état d'échelle) n'est pas triviale, mais mène au contraire à une authentique théorie de la relativité d'échelle et à l'émergence de nouvelles lois physiques (voir le Chapitre 6).

Dans la mécanique quantique actuelle, la dépendance d'échelle est déjà présente implicitement. Elle n'est cependant explicitement apparente ni dans les axiomes ni dans les équations fondamentales. On l'obtient via une interprétation de ces équations dans le cadre d'une théorie de la mesure. Plus précisément, ce qu'on fait en pratique est d'écrire l'équation de Schrödinger pour le problème considéré, puis de la résoudre. On obtient ainsi une solution pour l'amplitude de probabilité (autrement dit, la fonction d'onde) en représentation de position, dont le carré du module nous fournira la densité de probabilité de présence de la particule considérée, suivant l'interprétation statistique de la mécanique quantique due à Born.. On calcule alors l'écart-type correspondant à cette distribution de probabilité, lequel donnera la dispersion d'un grand nombre de résultats de mesure de la variable considérée. La fonction d'onde en impulsion s'obtient par transformée de Fourier à partir de la fonction d'onde en position, et la relation de Heisenberg entre dispersions sx et sp , soit sx sp >= h/2, est une conséquence directe de la structure mathématique même de la transformation de Fourier. Par extension, l'écart-type peut aussi s'identifier à la résolution Dx de l'appareil de mesure. Considérons dans ce cas une particule ayant une impulsion moyenne initiale <p> = p0, et supposons qu'on fasse sur cette particule des mesures de position avec une résolution Dx petite devant la longueur de de Broglie de la particule, ldB= h /p0. L'impulsion après la mesure sera p = p0 + Dp, avec /Dp / ~ h/Dx. >> h/ldB = p0, si bien que p ~ Dp. Ainsi, dans ce cas "purement quantique" (i.e. Dx << ldB), on obtient une relation de dépendance d'échelle explicite pour les résultats de mesure d'impulsion, p ~ h/Dx..

A la lumière de cette analyse, il semble que la théorie physique actuelle doivent être considérée comme conceptuellement incomplète: on doit exiger qu'une théorie physique complète inclue dans ses équations l'ensemble de l'information physique fournie par l'expérience. Autrement dit, dans le cas considéré, on peut demander que la théorie de la mesure, plutôt que d'être ajoutée de manière externe à une théorie donnée, en fasse partie intégrante, et que la dépendance essentielle observée pour les lois physiques en fonction des résolutions spatio-temporelle s'exprime dès le niveau des équations fondamentales de la physique.

Une telle exigence d'écriture des équations fondamentales de la physique sous une forme explicitement dépendante d'échelle commence à être remplie dans certains domaines, même si l'interprétation reste souvent différente de celle que nous suggérons ici. Citons deux approches dans lesquelles des équations explicitement dépendantes d'échelle ont été effectivement écrites.

Un premier cas est le problème de la "réduction du paquet d'onde" en mécanique quantique, c'est à dire celui du collapse soudain du vecteur d'état provoqué par une mesure. Ce problème, qui sous-tend celui de la dualité quantique-classique (et des questions comme: où se trouve la transition classique / quantique ?; les lois clasiques sont-elles des approximations des lois quantiques ?; pourquoi les objets macroscopiques sont-ils en général classiques ? ...), a connu un regain récent d'intérêt (voir les Refs. 44 et 45 ainsi que les références incluses). L'idée de base de ces travaux est que la réduction du paquet d'onde (et la transition quantique -> classique) trouve son origine dans une interaction du système quantique avec son environnement. Cette interaction est décrite par une "équation maître" qui est explicitement dépendante de la résolution spatiale. On trouve ainsi que la transition d'un comportement quantique à un comportement classique (caractérisée par l'annulation des composantes non-diagonales de la matrice de densité) dépend directement de la résolution via un temps de décohérence donné par44

tD ~ (lT/Dx )2 ,

lT est la longueur de de Broglie thermique du système. Nous reviendrons plus en détail sur cette approche au Chapitre 5.7.

Un second domaine où des équations explicitement dépendantes d'échelle ont été prises en compte est l'approche du groupe de renormalisation.46-48 D'abord introduit en électrodynamique quantique comme le groupe des transformations entre les différentes manières de renormaliser les divergences apparues dans la théorie, le groupe de renormalisation est devenu, sous l'impulsion de K. Wilson, une méthode générale de description de phénomènes impliquant des échelles de longueur multiples.48- 50 Dans l'approche du groupe de renormalisation, on écrit des équations différentielles qui décrivent la variation infinitésimale de certaines grandeurs physiques (champs, constantes de couplage...) sous une variation infinitésimale d'échelle. On verra que ce type de méthode va jouer un rôle essentiel dans notre propre approche. On démontrera en effet que les équations du groupe de renormalisation (ou des équations de ce type, éventuellement généralisées) (i) peuvent être considérées comme les équations les plus simples décrivant une dépendance d'échelle explicite; (ii) fournissent ainsi une compréhension de l'origine des comportements fractals standard; (iii) correspondent en ce qui concerne les lois d'échelle à ce qu'est le groupe de Galilée pour les lois du mouvement. Une concéquence de ce dernier point est que nous proposerons (Chapitre 6) une généralisation (de type "lorentzienne") de la structure du groupe de renormalisation visant à le rendre compatible aux très petites échelles de longueur avec le principe de relativité d'échelle, que nous allons analyser plus avant puis énoncer à la fin du présent paragraphe.

Avant de préciser cet énoncé, revenons sur l'interprétation de la mécanique quantique à la lumière de telles idées. Nous avons fait la remarque que seules, parmi les propriétés des objets physiques, celles qui avaient un caractère d'universalité pouvaient être attibuées à (ou mises en regard avec) des propriétés de l'espace-temps lui-même. Dans le domaine quantique, ce critère d'universalité conduit à particulariser deux relations fondamentales: celles de de Broglie51 et de Heisenberg52.

L'universalité de la relation d'Einstein-de Broglie est une manifestation de l'universalité de la dualité onde-corpuscule: tout système physique, même non élémentaire possède des propriétés ondulatoires caractérisée par lm = h/<pm>, m = 0 à 3. La relation de Heisenberg, quand à elle, est une conséquence directe du formalisme de base de la mécanique quantique (Sec. 2.1). L'existence d'une valeur minimale possible pour le produit Dx.Dp est une loi universelle de la nature (en ce sens, la relation de Heisenberg devient une realation de certitude, non d"incertitude"). Pourtant cette loi, en dépit de son universalité, est souvent considérée dans la théorie quantique actuelle comme une propriété des "objets" quantiques eux-mêmes, ou plutôt du mécanisme de mesure (mais on peut remarquer qu'elle devient une propriété de la mesure précisément grâce à son universalité, et du fait que le processus de mesure est décrit comme une interaction entre l'appareil, qui possède des propriétés classiques et quantiques, et un objet quantique...). On peut objecter à ce point de vue que la relation de Heisenberg peut être établie de manière générale sans faire aucune allusion à quelque mesure que ce soit, sachant qu'elle se déduit d'une propriété générique de la transformation de Fourier57,24. C'est donc une conséquence directe de l'existence d'une onde, et du fait que les fonctions d'onde en représentation de position et d'impulsion sont transformées de Fourier réciproques.

Dans l'interprétation développée ici, nous supposerons donc que la dépendance essentielle des lois physiques en fonction des résolutions spatio-temporelles, qui se manifeste dans les relations de Heisenberg, pré-existe à toute mesure, et constitue une propriété géométrique de l'espace-temps lui-même. Les mesures effectives ne font rien d'autre que révéler cette propriété universelle de la nature. Ainsi une des manières naturelles de mettre en oeuvre le principe de relativité d'échelle sera l'introduction d'un nouvel espace-temps qui posséderait de telles propriétés de dépendance d'échelle universelle.

Il est remarquable que nous soyons arrivé là aux mêmes conclusions qu'à la fin du chapitre précédent, bien que ce soit par un chemin complètement différent. Nous étions alors parti d'une analyse des limitations du principe de relativité actuel: étant actuellement restreint aux changements de coordonnées deux fois différentiables, la nécessité de son extension aux mouvements non-différentiables se fait sentir, surtout après la mise en évidence par Feynman35 du caractère continu mais non-différentiable des trajectoires typiques des particules en mécanique quantique. Or une des principales clés de toute l'approche développée ici est le théorème démontré Sec. 3.10, suivant lequel continuité et non-différentiabilité impliquent divergence d'échelle. Si l'on part maintenant d'une tentative de traduction géométrique ("géométrique" en un sens étendu) des relations de Heisenberg, nous arrivons également à ce même concept d'une dépendance d'échelle fondamentale (allant jusqu'à la divergence) de l'espace-temps, c'est à dire, suivant la définition que nous adoptons ici, (voir Sec. 2.2 et Chapitre 3), à la notion d'espace-tempsfractal. Cette idée sera développée plus en détail Chapitres 4 and 5.

Venons en finalement à la définition et à l'énoncé du principe de relativité d'échelle, principe qui va nous permettre de structurer les nouvelles lois d'échelle dont l'existence est impliquée par une telle approche. Dans un premier temps33, notre proposition pour la mise en oeuvre de l'idée de relativité d'échelle a été d'étendre la notion de système de référence en définissant des "supersystèmes" de coordonnées, qui ne contiennent pas seulement les coordonnées habituelles, mais aussi les résolutions spatio-temporelles, c'est à dire (t,x,y,z;Dt,Dx,Dy,Dz).33 On peut voir de manière imagée l'introduction des résolutions comme l'attribution d'une épaisseur aux axes du système de coordonnées: ceci correspond plus à la réalité des mesures effectivement réalisées, vu l'impossibilité de réaliser pratiquement les axes infiniment fins actuellement utilisés en physique.

Dans un tel cadre, le principe de relativité peut être étendu en exigeant que les lois de la nature puissent s'appliquer à n'importe lequel de ces supersystèmes, donc que les équations de la physique ne changent pas de forme dans les transformations d'échelle, c'est à dire soient covariantes d'échelle. (Il peut être utile ici de rappeler le sens profond de la notion de covariance, particulièrement bien analysé par Weinberg55. Il ne s'agit pas de donner une forme plus générale, même invariante, aux lois de la physique; il s'agit au contraire de garder pour ces lois leur forme la plus simple, même quand elles s'appliquent à des phénomènes plus généraux).

Cependant cette notion de "supersystèmes" s'est révélée insuffisante. Elle n'incorpore pas l'analyse faite ci-dessus sur le caractère relatif des résolutions, et les traite sur le même plan que les coordonnées, comme des sortes d'"extra-dimensions". Nous avons montré que les résolutions sont décrites d'une manière physiquement plus profonde comme propriété des coordonnées, propriété qui définit un état d'échelle relatif du système de référence, de même que les vitesses caractérisent son état de mouvement. Aussi, en parallèle avec la formulation d'Einstein du principe de relativité du mouvement,3 nous exprimerons finalement le principe de relativité d'échelle sous la forme suivante:53

" Les lois de la nature doivent s'appliquer à touts les système de coordonnées, quel que soit leur état d'échelle."

Le principe de relativité complet (au moins à cette étape de nos connaissances physiques) exigera la validité des lois de la nature dans tous les systèmes de coordonnées, quel que soit leur état de mouvement et d'échelle. La traduction mathématique de la relativité d'échelle sera la covariance d'échelle (qui va compléter la covariance de mouvement):

"Les équations de la physique gardent leur forme (sont covariantes) sous n'importe quelle transformation d'échelle (c'est-à-dire, sous les contractions et les dilatations des résoluttions spatio-temporelles)"

Nous verrons au Chapitre 6 que sous cette forme les principes de relativité d'échelle et de covariance d'échelle impliquent une modification profonde de la structure de l'espace-temps aux très petites échelles: une nouvelle loi de dilatation de forme lorentzienne est proposée, dans laquelle apparait une échelle limite, universelle, indépassable (vers les petits intervalles de longueur et de temps). Cette échelle, que nous identifions à celle de Planck, jouerait pour les lois d'échelle le même rôle que celui joué par la vitesse de la lumière en ce qui concerne les lois du mouvement (il ne s'agirait là ni d'un cut-off, ni d'une quantification, ni d'une discontinuité de l'espace-temps). L'intérêt de cette proposition est qu'elle a des conséquences observables (sous forme de corrections `relativistes d'échelle') aux énergies actuellement accessibles, si bien qu'une telle théorie est certainement "falsifiable".

2.4. Sur la Nature de l'Espace-Temps Quantique.

Les arguments explicités ci-dessus conduisent tous à la conclusion que, si l'on veut redonner un sens dynamique à l'espace-temps dans le domaine quantique, il faut abandonner l'espace-temps minkowskien, absolu, postulé par la théorie actuelle, et le remplacer par un espace-temps qui serait relatif à son contenu et explicitement dépendant d'échelle. Plusieurs outils mathématiques peuvent être considérés pour mettre en oeuvre un tel programme.

Le premier est géométrique: le concept de fractals37,38 fait référence à des objets ou ensembles qui dépendent explicitement de l'échelle de résolution où on les considère. Mais ce concept doit, dans une telle tentative, être généralisé à celui d'espace et d'espace-temps fractal,33,54 tandis que le concept d'invariance d'échelle (invariance des équations sous la transformation x -> rx des variables de position et d'instant) doit être étendu à celui de covariance d'échelle (invariance de forme des équations sous les transformations x -> rx des résolutions spatio-temporelles).

On peut également rechercher un outil algébrique: l'approche du groupe de renormalisation est déjà bien adapté à ce but, mais il doit être généralisé pour satisfaire à la covariance.

Une troisième méthode possible serait de travailler dans le cadre du groupe conforme.58 C'est un extension du groupe de Poincaré qui contient cinq transformations supplémentaires (en plus des translations et des rotations dans l'espace-temps), une dilatation globale et quatre "transformations spéciales-conformes" qui impliquent l'inversion. Cette possibilité interessante, mais qui nécessite aussi une généralisation, ne sera pas considérée dans le présent ouvrage.

Quoi qu'il en soit de l'outil précis utilisé, on s'attend à voir l'espace-temps décrit par une métrique généralisée explicitement dépendante d'échelle, c'est-à-dire à l'introduction de potentiels de métrique gmn = gmn(t,x,y,z;Dt,Dx,Dy,Dz).33 Tentons de préciser la signification de cette proposition.

Le concept d'espace-temps a permis de penser globalement l'ensemble des positions et des instants, y compris dans l'hypothèse où il est infini. L'espace-temps peut être vu comme l'ensemble de tous les événements et des transformations entre eux. Ici, nous ajoutons à cet ensemble de tous les événements xm =  - infini à + infini, (m = 0 à 3), celui de toutes les résolutions ln(Dxm= - infini à + infini. Appelons "zoom" cet ensemble. On peut ainsi concevoir le cadre géométrique dans lequel nous allons tenter de travailler comme un "espace-temps-zoom", ce qui veut dire que des structures géométriques pourront être définies et recherchées non seulement dans l'espace-temps (déplacements spatiaux et temporels), mais aussi dans la dimension "zoom" (changements d'échelle des résolutions: voir Figure C2 et Chapitre 4). Cependant la réserve faite en Sec. 2.3 vaut aussi à ce niveau, les résolutions et les variables d'espace-temps ne jouant pas un rôle physique identique. Si l'on admet, ce qui est la conclusion à laquelle nous sommes finalement conduit, que le rôle des résolutions est plutôt similaire à celui des vitesses, le concept d'"espace-temps-zoom" correspond à une extension de l'espace des phases plutôt que de l'espace-temps.

Le point important que nous demandons au lecteur de comprendre, qui sous-tend l'ensemble de la démarche décrite ici et des méthodes qui s'ensuivent, est que nous appelons à un changement profond de mentalité dans l'approche des problèmes d'échelle en physique. Il faut abandonner la vision "réductioniste" supposant que l'espace-temps est constitué de points (et d'instants) et que son organisation à grande échelle peut toujours se déduire de la petite échelle. Il faut même aller au delà d'une physique, pourtant déjà plus évoluée, où plusieurs échelles différentes doivent être prises en compte. La physique des lois d'échelle ne peut être construite que dans un cadre de pensée où toutes les échelles de la nature doivent être considérées simultanément, c'est-à-dire en se plaçant dans un continuum d'échelle. Dans une telle perspective, les coordonnées elles-mêmes perdent leur sens physique dans leur forme habituelle, et doivent être remplacées par des coordonnées fractales, explicitement dépendantes de l'échelle de résolution, X=X(s,e) (voir Chapitres 3 et 5).

Les propriétés géométriques et les structures de l'espace-temps de la microphysique restent à construire en détails. Comme nous l'avons précisé précedemment, ce livre décrit une approche à ce problème dans laquelle la principale propriété de cette nouvelle géométrie serait son caractère fractal (l'espace-temps devenant dépendant des résolutions). Nous avons en effet proposé54 que le concept de fractal ne s'applique pas seumement à des ensembles ou des objets plongés dans un espace euclidien, mais à un espace (plus généralement, un espace-temps) considéré de manière intrinsèque. Il s'agit alors de définir (ou de généraliser) pour un tel espace les notions de coordonnées curvilignes, d'éléments de métrique, de géodésiques, de courbure, etc... Une telle approche n'est pas indépendante de celle de Le Méhauté et ses collaborateurs,56 qui décrivent des propriétés électromagnétiques nouvelles apparaissant dans des milieux fractals à l'aide de l'intégro-différentiation non-entière.

Le concept d'espace-temps fractal permet de revenir sur la conclusion que la mécanique quantique ne peut pas être déduite d'une théorie géométrique. De nombreuses propriétés mathématiques des fractals vont dans la bonne direction, par exemple:

* L'une des principales caractéristiques des géométries fractales est leur dépendance en fonction de la résolution. Elles offrent ainsi un moyen naturel de mise en oeuvre de l'extension aux lois d'échelles du principe de relativité que nous avons suggérée, par le biais d'une description géométrique et spatio-temporelle.

* Feynman34,35 fut le premier à réaliser que les chemins typiques des particules en mécanique quantique peuvent être décrits par des courbes continues et non-différentiables: la non-différentiabilité est précisément l'une des propriétés des fractals. En effet les trajectoires virtuelles des particules en mécanique quantique non-relativiste (qui sont continues, donc de dimension topologique 1) sont caractérisées par une dimension fractale qui saute à la valeur 2 quand les résolutions deviennent inférieures à sa longueur de de Broglie (voir Ref. 36 et Chapitre 4). Ce résultat se déduit de la relation de Heisenberg et lui est équivalent (voir plus loin), ce qui lui donne un caractère d'universalité. Aussi, de la même manière que la relativité générale attribue à l'espace-temps la propriété universelle de courbure (propriété qui était celle des trajectoires dans l'espace-temps plat de la théorie non-relativiste: celles-ci deviennent les géodésiques en théorie d'Einstein, c'est-à-dire les "droites" de l'espace-temps devenu courbe), de même notre suggestion est d'attribuer à l'espace-temps quantique cette propriété universelle des trajectoires quantiques qu'est leur nature fractale: il s'agira alors de les décrire comme géodésiques d'un tel espace-temps fractalisé. Cette proposition commencera à être mise en oeuvre dans ce livre (l'équation de Schrödinger sera obtenue au Chapitre 5.6 comme une équation des géodésiques d'un espace fractal), et ses conséquences seront précisée.

* Des nombres infinis apparaissent couramment sur les fractals (on verra comment l'analyse non-standard permet de les prendre en compte): or l'existence de qunatités infinies reste une des difficultés de la théorie quantique actuelle. Il est remarquable que les quantités infinies apparues en électrodynamique quantique (et dont la renormalisation n'a pas réglé le problème) soient précisément les masses et les charges, qui sont des invariants fondamentaux construits sur les symétries de l'espace-temps et de la phase quantique. On peut alors se demander si la nécessité de renormaliser ne vient pas d'une absence de prise en compte d'infinis qui seraient propres à l'espace-temps lui-même.

* En étendant l'approche "générale-relativiste", on s'attend à ce que les particules suivent les "géodésiques" (les trajectoires les plus courtes) de l'espace-temps fractal. Mais l'absence de dérivée, le repliement de l'espace sur lui-même et le nombre infini des obstacles rencontrés à toutes les échelles dans un tel espace, impliquent que les géodésiques vont exister en nombre infini entre deux points quelconques, si bien que seule des prédictions de nature statistique seront permises (voir Sec. 5.5).

D'autres exemples de l'adéquation des fractals et des propriétés quantiques seront rencontrés dans ce livre.

On gardera tout au long de ce travail le postulat que l'espace-temps de la microphysique est continu et de dimension topologique 4, tout en étant un fractal auto-évitant. On supposera définies sur cet espace-temps des 4-coordonnées fractales. (Des moyens de prendre en compte leur caractère infini et leur non-différentiabilité seront proposés au Chapitre 3). Ces coordnnées fractales correspondent au cas idéal, limite, de la résolution infinie , Dxm = 0. Les divers "supersystèmes de coordonnées", qui correspondent à une résolution finie, seront alors obtenus par un lissage de ces coordonnées limites idéales avec des "4-boules" (Dt,Dx,Dy,Dz).

Les coordonnées classiques (qui sont, elles, indépendantes des résolutions) résultent du même processus de lissage, mais avec des boules plus grandes qu'une certaine échelle lm. Cette échelle est une transition fractal / non-fractal, qui va s'identifier à la transition classique / quantique.

Réinsistons sur le fait que l'être physico-mathématique qui sera utilisé pour réaliser l'idée d'"espace-temps-zoom" n'est pas seulement le fractal lui-même au sens habituel du terme (c'est à dire le résultat final du processus de fractalisation), mais essentiellement l'ensemble de toutes ses approximations pour toutes les valeurs possibles des résolutions spatio-temporelles. Plusieurs de ses autres propriétés vont émerger graduellement, tandis que nous tenterons d'exprimer les principaux résultats de la mécanique quantique en terme de structures géométriques fractales.

En particulier, l'application du principe de relativité d'échelle au problème de la dimension fractale des chemins quantiques nous mènera à la conclusion que le résultat issu de la mécanique quantique standard (dimension fractale constante D = 2) n'est qu'une approximation de "grande" échelle. On peut montrer en effet que cette valeur constante de la dimension fractale correspond à un groupe de dilatation "galiléen", alors que l'exigence de covariance d'échelle conduit à des lois d'échelles plus générales (dans le cas des transformations linéaires) qui doivent avoir la structure du groupe de Lorentz (en termes de `vitesses d'échelle', V = ln(l/e), voir Chapitre 6).

Ce résultat est essentiel pour le développement futur d'une théorie de l'espace-temps fractal. Considérons en effet l'évolution historique de la théorie de la relativité du mouvement. Sans la mise au point préalable de la relativité restreinte, le développement de la relativité générale aurait été impossible. En effet la géométrie riemannienne doit être appliquée non à l'espace, mais à l'espace-temps. Le concept d'espace-temps minkowskien reste fondateur pour la relativité générale: c'est sur lui que s'appuie la théorie pour mettre en oeuvre le principe d'équivalence (l'espace-temps riemannien est localement plat, c'est à dire minkowskien). De la même manière, (en supposant notre approche globalement correcte), il nous semble qu'une théorie conséquente de l'espace-temps fractal doit incorporer dans sa description la nouvelle structure de l'espace-temps obtenue au Chapitre 6: celle d'un espace-temps dont la dimension fractale elle-même varie avec l'échelle, dans lequel le point zéro a disparu des concepts ayant un sens physique au profit d'une échelle inférieure limite, indépassable, invariante sous les dilatations, et dont le groupe d'invariance local est celui de Lorentz, aussi bien pour les transformations de mouvement que d'échelle.


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